Antoine Bouvier au journal Le Monde: Une course de vitesse pour l’industrie de défense française

Dans un entretien accordé au journal Le Monde, Antoine Bouvier, ancien PDG du missilier européen MBDA et ex-directeur de la stratégie d’Airbus, détaille les défis auxquels fait face l’industrie française de défense dans le cadre de l’économie de guerre initiée par Emmanuel Macron en juin 2022. Alors que le président de la République doit rencontrer les industriels du secteur pour fixer une nouvelle feuille de route, l’ancien dirigeant plaide pour une “application stricte du principe de préférence européenne” et insiste sur la nécessité d’une montée en cadence rapide de la production d’armements.

D’un modèle de flexibilité à la baisse à une réorganisation industrielle

Pendant plusieurs décennies, la France a adopté une approche réduisant progressivement ses stocks et ses commandes d’armement, optimisant ses outils industriels pour une flexibilité à la baisse. Cette stratégie a été dictée par la volonté de maintenir les compétences industrielles tout en contrôlant les coûts dans un contexte de “dividendes de la paix”. Mais l’invasion russe en Ukraine a radicalement changé la donne : une montée en cadence rapide est devenue impérative.

Les obstacles à une production accélérée

Si la première étape de cette transformation, consistant à optimiser les ressources existantes, a été relativement simple, la seconde est plus complexe. Il s’agit d’investir dans l’outil industriel, de renforcer la chaîne de sous-traitance et d’assurer des commandes pluriannuelles pour garantir une visibilité à long terme. Or, ces investissements se heurtent à des contraintes financières et des critères ESG qui pénalisent l’industrie de défense européenne.

La dépendance aux fournisseurs et la nécessité d’une relocalisation

Un autre enjeu majeur est la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement, notamment face aux priorités nationales des alliés en temps de crise. La relocalisation de certaines activités critiques, comme la production de poudre à Bergerac, est une réponse partielle à ce problème. Antoine Bouvier appelle à une politique plus ambitieuse pour réduire la dépendance à l’égard des fournisseurs étrangers.

La préférence européenne : un objectif stratégique

L’ancien dirigeant déplore la montée en puissance des achats d’armement hors Union européenne, passés de 50 % à près de 66 % en faveur notamment des États-Unis. Pour inverser cette tendance, il préconise une application stricte de la préférence européenne et une montée en cadence des industries de défense du continent.

Une stratégie en trois étapes : sprint, course de fond et marathon

Antoine Bouvier compare cette transformation à une série d’épreuves sportives : un sprint pour la montée en cadence immédiate, une course de demi-fond pour structurer les investissements et un marathon pour lancer des programmes d’armement stratégiques. Parmi ces programmes figurent le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), le char MGCS, l’hélicoptère du futur ENGRT, le projet de communication par satellites Iris² et le Futur Missile de Croisière (FMC). Ces coopérations européennes doivent permettre d’assurer la souveraineté tout en renforçant les capacités industrielles du continent.

L’industrie de défense française se trouve à un tournant décisif. L’accélération des cadences de production, la relocalisation des activités critiques et l’affirmation d’une préférence européenne sont autant de défis qui conditionneront l’autonomie stratégique de l’Europe dans les années à venir. L’épreuve est de taille, mais elle est nécessaire pour répondre aux bouleversements géopolitiques en cours et garantir une capacité de défense efficace et indépendante.

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